Roman “Premier sang” , de Amélie Nothomb

Roman “Premier sang”, d’ Amélie NOTHOMB 

Albin Michel – 2021

Analyse par Marie-Hélène GLEN le 6 décembre 2021

 

Fabienne Claire NOTHOMB, connue sous le nom de plume d’Amélie NOTHOMB est née en 1966 à Etterbeek dans la région de Bruxelles.

Jeune, elle a beaucoup voyagé car son père, Patrick Nothomb a occupé des postes de diplomate au Japon, en Chine, à New York, en Asie du Sud-est. A 17 ans elle revient en Europe où elle a fait des études de philologie à l’Université libre de Bruxelles. Elle obtient l’agrégation et envisage un moment une carrière d’enseignante. Mais une fois ses études terminées, elle retourne au Japon où elle devient interprète dans une entreprise. Elle commence alors à écrire.  Son premier roman HYGIENE DE L’ASSASSIN est  publié en 1992. Depuis elle n’a jamais cessé d’écrire.

« PREMIER SANG » est son trente-deuxième roman,  paru, chez Albin Michel en Aout 2021 (180 pages). Il a reçu le PRIX RENAUDOT 2021.

C’est sa dixième distinction littéraire (en France ou en Belgique). Elle a notamment remporté :

  • Le Prix René-Fallet en 1993 pour HYGIENE DE L’ASSASSIN
  • Le Grand prix du roman de l’Académie Française en 1999 pour  STUPEUR ET TREMBLEMENTS

UN CONTE AUTOBIOGRAPHIQUE

Ce livre est un roman biographique dans lequel l’auteure, s’est glissée dans la peau de son père pour raconter sa vie.

C’est un hommage à Patrick NOTHOMB, décédé en 2020 aux premiers jours du confinement et à qui elle n’a pas pu dire adieu.

Elle a choisi de le faire parler de la période de sa vie qui se situe avant sa propre naissance. Au moment où se déroulent les faits, ce n’est donc pas son [encore] son père. Elle a un regard tendre sur ce jeune garçon puis l’adolescent et le jeune adulte qu’il va devenir.

Le roman commence par une citation de Sacha Guitry : « Mon père est un grand enfant que j’ai eu quand j’étais tout petit ». Le ton est donné.

Malgré la perte récente de son père, le ton n’est pas triste. L’auteure prête au narrateur, une  certaine autodérision, un regard amusé sur sa vie et même sur les épisodes les plus difficiles. L’histoire est racontée avec légèreté et humour, elle en devient même fantasque par moments.

UN EVENEMENT TERRIBLE ET TOUTE UNE VIE QUI DEFILE

Le 1er chapitre est très court (3 pages).

C’est une entrée en matière est fracassante. Les faits se déroulent au Congo, Patrick Nothomb 28 ans, est devant un peloton d’exécution.

Extrait  1 (p 9) :               «Il y a une vingtaine ….  me taire »      &           « Il est midi … pas maintenant »

Cet épisode (tragique, car certains y ont laissé la vie) relate la plus grande prise d’otage du 20ème siècle, qui démarra le 5 Aout 1964 à Stanleyville au Congo et se termina le 24 Novembre par une intervention militaire musclée. Des rebelles avaient retenu en otage plus de 1600 personnes dont 525 belges. Pendant plusieurs mois un  jeune consul, Patrick Nothomb,  dû négocier avec les preneurs d’otage.

A partir du second chapitre, Patrick Nothomb s’évade et replonge dans son passé.

DE LA NECESSITE DE S’ADAPTER

Plus de la moitié du livre est consacrée à son enfance comme pour nous dire que ces moments-là constituent les fondations de sa vie.

Ses premiers souvenirs remontent à l’âge de six ans. Il n’a pas connu son père, mort prématurément. Sa mère brille par son absence. Il est élevé par ses grands-parents maternels  et sa grand-mère le couve :

Extrait  2 (p 16) :             « Me confierais tu  … que je me croyais beau »

Mais son grand-père, un général en retraite, n’entend pas laisser son petit-fils s’amollir de la sorte. D’autant qu’à l’école maternelle il est dans une classe de filles où il apprend à sauter à la corde et à jouer à la poupée. La décision que prend alors son grand-père va littéralement changer sa vie.

Extrait  3 (p 32) :             « Il fallut au moins  …  imminente»

Le grand-père Nothomb est un baron, un châtelain désargenté qui se veut poète qui a une façon toute particulière d’élever ses enfants.

Extrait  4 (p 43) :             « une tornade  …  écrire»

Patrick sympathise alors avec Charles son oncle qui a 6 ans tout  comme lui  et il comprend ce que peuvent endurer les enfants dans cette maison.

Extrait  5 (p 48) :             « Pourquoi seuls les grands  …  tu survivras»

Paradoxalement, la vie chez ce grand-père poète va s’avérer bien plus dure que chez le général.  Il est aussi séduit qu’épouvanté. Mais paradoxalement, Patrick va adorer venir là car il y retrouve les autres enfants qui font face dans l’adversité. Patrick, passera toutes ses vacances scolaires dans les Ardennes et pour rien au monde il n’y aurait renoncé. C’est pendant cette période de sa vie qu’il comprend qu’il faut  S’ADAPTER .

NE PAS SOUS-ESTIMER LA RAGE DE SURVIVRE (4ème de couverture)

Dans la dernière partie du livre, nous voilà à nouveau plongés dans l’enfer de cette prise d’otages.

Epoque troublée de la fin du colonialisme où l’ironie met en place au Congo le plus jeune et le  plus anticolonialiste des diplomates pour négocier la libération des otages.

Extrait  8 (p 159) :           « quatre mois  …  désirs»

 Quand le temps est compté on apprend vite et on fait appel  à des ressources insoupçonnées. Mais aucun doute que le passé de Patrick Nothomb, ses séjours dans ce château des Ardennes, aura fait de lui l’homme lucide et solide qu’il aura fallu être pour surmonter un tel événement.

MON OPINION PERSONNELLE

Un style moins tarabiscoté que dans certains de ses autres romans. Sans doute parce qu’il est plus personnel encore que si elle avait parlé d’elle-même.

Un livre très abordable qui peut séduire tous les publics. A proposer en milieu hospitalier de par son volume (petit livre rapidement lu).

Un livre apaisant, rafraichissant que j’ai eu du plaisir à lire et qui est un très bel hommage à son papa.

 

 

 

Roman “Ton absence n’est que ténèbres”, de Jon Kalman Stefansson

 

Roman “Ton absence n’est que ténèbres”, de Jon Kalman Stefansson

Analyse par Françoise Pasco, le 23 mars 2022

 

Si vous aimez les grandes histoires d’amour qui finissent mal, bien sûr, si vous rêvez des paysages grandioses et sauvages de l’Islande, si vous appréciez la musique des années 70-80 (Bob Dylan, Leonard Cohen, Beatles …), la poésie de Hölderlin, si une pointe d’irrationnel et de mystère ne vous dérange pas, si vous n’avez pas peur de vous perdre un peu dans une foule de personnages et un récit ignorant toute chronologie (mais très habilement mené), alors plongez sans attendre dans ce très beau roman.

De quoi il parle ? Impossible à résumer, mais il nous raconte de magnifiques histoires de vie, d’amour, de mort, dans une petite communauté au bord d’un fjord encore sauvage, mais déjà guetté par l’invasion touristique, au Nord-Ouest de l’Islande.

Et si comme moi vous l’avez aimé, nul doute que vous aurez envie de découvrir d’autres romans de JK Stefansson, par exemple la trilogie Entre ciel et terre, La Tristesse des anges et Le Cœur de l’homme, dont certains personnages réapparaissent dans Ton absence

Roman “La maison dans l’impasse”, de Maria Messina

Roman “La maison dans l’impasse”, de Maria Messina
Analyse de Ouarda Ispenian, le 14 mars 2022

L’histoire se passe au début du xxe siècle. Dans ce roman dramatique, elle dépeint la vie de deux sœurs, qui sous l’emprise d’un seul homme, vont petit à petit basculer dans une tragique histoire de famille. Antoniéta est l’ainée d’Encolina et épouse de Don Lucio qui est l’administrateur de biens immobiliers du baron Rossi.

Don Lucio est un personnage sournois, calculateur, cupide et très égoïste. Il gère sa maison comme il gère ses affaires. Tout est encadré, huilé pour ne pas perturber le rouage immuable du temps qui s’égrène.

Les deux sœurs qui étaient très unies finiront par ne plus se faire confiance et deviendront l’ombre d’elle-même. Recluses, dépendantes et entièrement soumises. Elles perdront, de façon tragique, le seul lien charnel qui les illuminait et les unissait entre elles.

Une vie sans horizon au bout d’une impasse !

C’est un petit livre qui contient une Grande Histoire …

Roman “La Porte du Voyage sans retour”, de David Diop

Roman “La porte du voyage sans retour”, de David Diop ( Ed. Seuil – 19/08/2021)

Analyse par Françoise Pasco, le 13/02/2022

  Le narrateur est Michel Adanson, naturaliste français du XVIIIème siècle. Il faisait partie de ces savants du siècle des lumières qui partaient sur des bateaux pour le bout du monde afin de découvrir des pays exotiques, leur flore, leur faune, mais aussi leurs peuples, qui étaient à la fois botanistes, zoologues, ethnologues, géographes … et dont le retour était souvent aléatoire.
Après ces études, il part pour le Sénégal, il y passe 5 ans, recueille et étudie plantes, arbres, animaux mais s’intéresse aussi à la sociologie du pays, ce qui n’est pas courant à l’époque où on considérait tous les indigènes de ces pays exotiques comme des sauvages, apprend le wolof.
Dans la première partie, sa fille Aglaé assiste son père dans ses derniers instants. A la mort de son père, elle hérite de toutes ses affaires, livres, écrits (encyclopédie de 160 tomes), plantes, outils de toutes sortes et trouve dans un tiroir caché un carnet dans lequel son père raconte une aventure amoureuse qui lui est arrivée pendant son séjour au Sénégal et qui l’a poursuivi toute sa vie ; là nous entrons dans la fiction.
Et c’est désormais Michel Adanson qui raconte. Dans la première partie de son récit, il voyage avec une escorte, bien sûr, des porteurs … et un jeune homme Ndiak, fils du roi de Waalo, qui lui sert de guide et l’aide dans ses recherches botaniques. Un jour un roi leur parle d’une jeune femme, sa nièce Maram, qui a disparu un jour, vraisemblablement enlevée par les chasseurs d’esclaves et déportée à Gorée, mais 3 ans plus tard un homme se présente à la cour du roi et raconte que Maram est revenue d’Amérique et vit dans un village proche de Gorée, où elle est guérisseuse.
Michel Adanson très intéressé par cette histoire décide de retrouver Maram et sous couvert d’une nouvelle campagne de recherche entreprend un voyage assez mouvementé pour la retrouver. Alors la jeune femme lui raconte la véritable version de sa disparition, et au fil du récit, Adanson tombe follement amoureux d’elle.
L’auteur nous transporte dans le Sénégal du XVIIIème siècle, encore sauvage, éléphants, lions … Forêts d’ébéniers … belles descriptions, dans un style ample, poétique.
Maram, belle, intelligente, est experte dans l’art de soigner par les plantes, un peu sorcière. Elle lui parle de son respect pour la nature, des esprits qui régissent leurs vies, de l’importance de son rab sorte d’ange gardien qui la protège et la conseille dans ses choix de vie. En bon scientifique rationnel, MA ne veut pas y croire mais il est ébranlé dans ses certitudes d’occidental catholique.
Le personnage du narrateur est émouvant, qui confie à sa fille le récit de cet amour qui l’a poursuivi toute sa vie, ses scrupules à faire de Maram sa maitresse ou sa femme, ses regrets et ses remords.
Et puis je me suis beaucoup intéressée à la petite histoire attachée à M. Adanson qui manifestement a intéressé aussi l’auteur puisqu’il y consacre 50 pages, avant d’entrer dans l’histoire elle-même. L’histoire d’Aglaé Adanson est liée à notre ville de Sète, mais serait trop longue à raconter ici ….