LE REVE DU JAGUAR – Miguel BONNEFOY – (Editions Rivages – 294 Pages) –
présenté par Brigitte Mangoni (bibl . St Georges d’Orques), à l’occasion de la rencontre autour des livres du 9 décembre 2024 –
Pour ce roman, Miguel Bonnefoy a obtenu deux prix : le Prix Femina et le Grand Prix de l’Académie Française en 2024.
L’auteur :
Ecrivain français et vénézuélien, il est né en 1986 à Paris. Il est le fils d’une diplomate vénézuélienne qui a été l’attachée culturelle de l’ambassade du Venezuela à Paris et d’un père romancier chilien. Miguel Bonnefoy a grandi au Venezuela et au Portugal. Il y a suivi sa scolarité dans des lycées français. Il parle couramment plusieurs langues. Il a été professeur de français. Il est l’auteur des livres : « Le voyage d’Octavio, Sucre noir, Héritage » entre autres.
Le roman :
« Le Rêve du Jaguar » nous raconte la saga familiale de ses ancêtres sur trois générations. L’histoire débute dans les années 1920 au Venezuela et plus précisément à Maracaibo, ville située au bord du Lac Maracaibo à 500 kms de Caracas.
Le roman débute avec l’histoire d’Antonio, le grand-père de l’auteur, lequel a été abandonné sur les marches d’une église et sauvé par une mendiante muette, qui l’a trouvé là, en train de pleurer, il avait deux ou trois jours. Cette femme l’a sauvé d’une mort certaine. Il va grandir quelques années auprès d’elle puis, courageusement, va travailler dur pour se nourrir, en vendant des cigarettes et en devenant porteur sur les quais. Un jour, il rentrera au Majestic, un « bordel » où les prostituées l’accueilleront et il sera le « factotum » de ce lieu où il fera un matin, pour la première fois de sa vie et pour une seule fois, et ce, gratuitement, son baptême de l’amour, auprès de la plus belle des prostituées de ce lieu emblématique.
Antonio rentrera plus tard au lycée pour y entreprendre des études et fera la connaissance d’Anna-Maria et cette rencontre sera pour lui un coup de foudre. Il lui déclarera sa flamme mais elle exigera pour entamer une relation avec lui, qu’il lui raconte des histoires d’amour. Or il n’en connait pas, il n’a connu que les ardeurs du bordel où les histoires d’amour n’existent pas. Pour trouver des histoires d’amour, il va aller s’assoir sur un tabouret au bord du métro et demander aux passants de lui en raconter, et cela va marcher. Il va en retranscrire mille sur son cahier et les rapportera à Anna-Maria. C’est ainsi que débutera leur histoire d’amour.
Antonio deviendra un brillant cardiologue et Anna-Maria la première femme médecin, gynécologue du pays, féministe et au service des femmes. Ils auront ensemble une fille Vénézuela, laquelle adulte, quittera Maracaibo pour Paris et mènera une vie de femme libre, féministe. Elle aura un fils Cristobal, dernier maillon de la descendance.
Toujours dans cette ville de Maracaibo, Antonio créera une université et en deviendra le recteur.
Analyse : Nous découvrons dans ce superbe roman, le parcours de vie d’un homme que rien n’avait destiné à devenir ce brillant médecin et universitaire. Il a choisi son destin, s’est emparé de sa destinée et n’a rien laissé au hasard.
Ce livre pétille de vie, même dans les moments sombres. Il va vite. Il transporte le lecteur. Ce roman nous fait penser à un conte. L’histoire est tellement surprenante, presque invraisemblable et pourtant… Les personnages imaginaires et improbables qui vivent auprès de la famille ou la côtoient sont poétiques. Il en est de même pour les animaux et la luxuriante végétation où grouille la vie.
C’est un livre riche. Le lecteur est au Venezuela et côtoie énormément de personnages (des prostituées, un pêcheur et un pingouin sur une plage des Caraïbes, un autre pingouin en or, une gitane argentine, des malfrats, des chamanes qui parle la langue de la pluie, des dictateurs et des révolutionnaires).
Le lecteur apprend aussi beaucoup sur la politique au Venezuela et son évolution. Le lecteur assiste à l’évolution de la société et aux changements politiques du pays. Il s’agit aussi d’une ouverture du monde de la médecine aux femmes. Sont évoqués l’évolution des moyens de transport, la révolution d’après-guerre… la misère des classes ou l’émancipation féminine
L’écriture est celle d’un érudit. Elle est plus que brillante.
Mon avis : Il ne faut pas manquer ce roman.
Il fait du bien, nous transporte dans une saga incroyable mais vraie. Le lecteur s’évade loin dans la réalité de la vie de ce pays, mais aussi dans l’imaginaire.
Le lecteur rencontre des personnages imaginaires et inoubliables. Ils sont poétiques, tellement vivants, magiques quelquefois.
- Extraits: « Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église dans une rue qui aujourd’hui porte son nom. Personne ne put dire précisément à quelle date il fut trouvé, on sait seulement que tous les matins, toujours au même endroit, une femme misérable avait l’habitude de s’asseoir là pour déposer devant elle une écuelle en calebasse et tendre une main fragile aux passants du parvis. Quand elle aperçut l’enfant, elle le repoussa d’un geste dégoûté. Mais son attention fut soudainement attirée par une petite boîte brillante, cachée entre les plis du lange, que quelqu’un avait laissée là comme une offrande. Un rectangle en fer-blanc, couleur argent, taillé d’arabesques fines. C’était une machine à rouler des cigarettes. Elle la vola en la mettant dans la poche de sa robe, puis se désintéressa du bébé. Elle constata toutefois pendant la matinée que ses timides vagissements, ses cris hésitants attendrissaient les fidèles qui, les croyant ensemble, remplissaient tour à tour le fond de son écuelle avec des pièces en cuivre. Le soir venu, elle l’emmena dans une basse-cour, lui colla la bouche à la mamelle d’une chèvre noire dont les pis étaient couverts de mouches, et le fit allaiter, à genoux sous son ventre, d’un lait épais et chaud. Le lendemain, elle l’entoura dans un torchon de cuisine et le pendit à ses hanches. Au bout d’une semaine, elle se mit à dire que l’enfant était le sien ».
« Néanmoins, pour Antonio, cette femme menteuse et avare, médisante et voleuse, fut la meilleure mère à laquelle il put aspirer ».
“Les paysans de Maracaibo disent que, dans toute portée de chats, il y a un jaguar. La mère, prudente, l’éloigne des autres. Elle le chasse. Dès lors, il grandit autrement. Il s’émancipe différemment. Ce sont les bâtisseurs de cette ville. On grandit tous avec un mythe. On est tous fils d’un rêve de jaguar“.
« On est esclave de ce qu’on dit et maitre de ce qu’on tait ».
Brigitte Mangoni, le 10 décembre 2024