Lors de la rencontre du 10/12/2018, Denise Delterme a présenté le roman “Le monarque des ombres de Javier Cercas (Ed. Actes Sud – août 2018– 313 p. – 22£50)

Javier Cercas, écrivain espagnol né en Extremadura en 1962, a grandi en Catalogne et fait des études universitaires à Barcelone ; essayiste, scénariste et romancier, son œuvre est majoritairement consacrée à l’Espagne, en particulier à la guerre civile ; lauréat de nombreux prix, il fut surtout connu en France à partir de 2001 lorsque les éditions Acte Sud publièrent Les soldats de Salamine, roman qui donna lieu à un film réalisé en 2003 par son ami D.Truebas ; il s’agit d’un roman sur la guerre d’Espagne où l’auteur raconte comment un soldat républicain épargna la vie d’ un des idéologues de la Phalange, fondateur du Franquisme.
Acte sud publie en 2015 un autre roman, “L’ imposteur” où le romancier campe un personnage qui a mystifié tout le monde en racontant qu’il était rescapé des camps nazis, alors que sa vie fut en réalité celle d’un espagnol n’ayant jamais quitté son pays .
L’œuvre de Javier Cercas repose sur une réflexion sur l’Histoire, l’Humain, les lisières fragiles entre le bien et le mal ,entre la réalité et la fiction ,la notion de héros .
Le monarque des ombres , s’il ne déroge pas aux thèmes chers à l’auteur , présente cependant une spécificité : J. Cercas ne pouvait ni ne voulait écrire ce livre, car son sujet touche un point sensible de l’histoire familiale , la vie et la mort de son grand -oncle Manuel Ména , sous- officier franquiste tué à 19 ans sur le front de la bataille de L’Ebre en septembre 1938 : « le paradigme le plus accablant de l’héritage de ma famille » . Quel est donc le livre que nous avons sous les yeux ? Il se présente en 17 chapitres où alterneront, d’une part le « je » du narrateur Javier Cercas et le « il » de l’enquêteur-historien , pour qui ne doivent compter que les faits et tente rigoureusement de retrouver qui était ce soldat, mort il y a près de 78 ans .
Au cours de la lecture nous suivons donc à la fois la genèse , l’écriture d’une œuvre littéraire , et la progression de l’enquête sur la vie et la mort de Manuel Mena ; un fil conducteur relie selon moi les deux projets , la permanence des doutes de l’écrivain : faut-il écrire ce livre ? comment l’écrire? par ailleurs, quel est le sens de la vie et de la mort de ce jeune homme issu d’un village pauvre qui s’engage ,se bat et meurt pour une cause dont l’auteur pense qu’elle allait à l’encontre de son intérêt et de celui des siens ? ces doutes alimentent un suspense jusqu’à la fin de l’œuvre
Le lecteur curieux est pris par ces deux histoires habilement mêlées par l’écrivain : les mystères de la vie de Manuel Ména , mystères dus au passage du temps ,au petit nombre de survivants qui l’ont connu
Sur le destin du grand -oncle, l’auteur pose dès le départ ,le doute, existentiel : ce soldat mort à la fleur de l’âge était -il un autre Achille comme dans l’Iliade ,mort heureux ,dans la beauté de la jeunesse , pour une cause noble en laquelle il croyait ? cela ne fait aucun doute pour la mère de l’auteur qui a épuisé à l’âge de 12 ans , lors de l’enterrement de cet oncle aimé, toutes les larmes d’une vie , ou bien , autre possibilité ,est -t’il mort ,comme l’avoue Achille à Ulyssse dans le ch.XI de l’Odyssée « monarque des morts dans les enfers » regrettant de n’avoir pas eu le destin d’Ulysse, qui ,contrairement à lui est revenu vivre et vieillir auprès de Pénélope dans son île d’Ithaque ;Manuel Mena a t’il vécu sa courte vie en regrettant son village et la vie qu’il y aurait menée ?
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Javier Cercas nous offre ici un roman difficile à classer, nourri d’expérience autobiographique, d’Histoire, de questionnement littéraire , de réflexions sur le sens de la vie, de l’engagement et de la mort ; il est, de ce fait, une œuvre à la portée universelle
La lecture du roman est facilitée par l’alternance du récit et des dialogues, ainsi que par la présence de personnages campés avec réalisme et humour parfois ; il intéressera les lecteurs amateurs de réflexion ancrée dans une expérience historique et peut donc trouver ses lecteurs dans nos bibliothèques
Ce roman faisait partie des sélections prix Femina et Médicis étrangers 2018, il a obtenu le prix André Malraux
Présenté par Denise Delterme ( clinique Saint Roch )