Autobiographie : ” Psychopompe“, d’ Amélie Nothomb – (Ed. Albin Michel – août 2023 – 162 pages) –
par Laurence Vignessoule (St Clément de Rivière) – Rencontre autour des livres du 15 janvier 2024
1) L’Auteur : Amélie Nothomb, un auteur controversé
Romancière belge née en 1967 au Japon, fille du baron Patrick Nothomb. Ses livres font partie des meilleures ventes littéraires parmi le public francophone et certains sont traduits en plusieurs langues. Ce succès est en partie dû à son attachement à la culture japonaise, retranscrit dans plusieurs de ses romans, et à son style d’écriture excentrique, ce qui contribue à en faire un auteur controversé. Ses romans lui ont valu de nombreux prix et distinctions.
Parmi les œuvres phares, sa plume oscillant entre deux styles d’ouvrages, le roman fictionnel et
autobiographique, à citer, en 1992 « Hygiène de l’assassin » (Prix René Fallet et Prix Alain Fournier), « Les Catilinaires » (1995, Prix Jean Giono), « Stupeur et Tremblements » en 1999 (Grand Prix du roman de l’Académie Française », basé sur son propre vécu au Japon, « Métaphysique des tubes » (2000), « Acide sulfurique » (2005), « Ni d’Eve ni d’Adam » (2007, Prix Jean Giono ), qui s’inspirent de la vie d’Amélie Nothomb et de ses nombreux voyages à travers le monde.
Amélie Nothomb se décrit comme une « graphomane », une malade de l’écriture, elle vit par et pour sa passion littéraire à laquelle elle consacre au moins quatre heures par jour, publiant ainsi un roman par an. Bien que controversées, chacune de ses œuvres est un véritable best-seller, en atteste « Stupeur et Tremblements » qui a été adapté au cinéma par Alain Corneau et interprété par Sylvie Testud et Kaori Tsuji, ou encore « Métaphysique des tubes » en 2000. L’auteur qui relate dans plusieurs ouvrages une partie de son enfance, décrivant ainsi ses difficultés, et ses problèmes de santé comme l’anorexie, l’alcool infantile, fascine et interpelle ses lecteurs par son style romanesque et décalé. Personnages atypiques et névrosés, situations complexes et ambigües, thèmes aussi variés qu’improbables, telles sont les caractéristiques principales de l’autrice.
L’univers d’Amélie Nothomb est à part et peut choquer les lecteurs ou ravir ses admirateurs. Variant les genres littéraires, elle passe des contes (« le Hollandais ferroviaire »), aux nouvelles (« Aspirine » en 2001) pour revenir au roman. En 2009, , dans son roman « le voyage d’hiver », elle renoue avec les thèmes de l’auto-dérision, le suicide amoureux, l’incohérence de l’existence.
En 2010 sort « une forme de vie » livre dans lequel elle présente sa relation privilégiée avec ses lecteurs à travers une écriture épistolaire.
En 2011 elle publie son 20ème roman « Tuer le père ».
En 2019, le succès est total pour son vingt-huitième roman où dans « Soif » Amélie Nothomb s’immisce dans les pensées de Jésus avant qu’il ne se fasse crucifier.
L’autrice se met ensuite dans la peau de son propre père, dont elle était très proche, disparu le premier jour du confinement, en lui rendant hommage en 2021 dans « Premier sang » (Prix Renaudot).
« Psychopompe » publié aux Editions Albin Michel en 2013 est le 32ème titre de la célèbre écrivaine belge.
Excentrique et extravagante, Amélie Nothomb est considérée aujourd’hui comme l’un des écrivains de langue française les plus lus. Ses ouvrages sont parmi les meilleures ventes en librairie et sont traduits dans près d’une
quarantaine de langues. Si elle peut séduire ou irriter ses lecteurs, son originalité et son style littéraire hors du commun sont incontestablement salués.
2) Le Livre
– Le résumé:
« Psychopompe » n’est pas un roman, c’est un livre autobiographique dans lequel Amélie Nothomb nous dévoile sa passion pour les oiseaux. Au gré des postes diplomatiques occupés par son père, elle a appris à faire son nid là où les migrations parentales la déposaient, développant progressivement une passion de plus en plus grande envers ces volatiles qu’elle s’amusait à observer au Japon, au Bangladesh, en passant par la Chine ou les Etats Unis. C’est d’ailleurs à coup de métaphores que l’autrice nous livre un récit très personnel permettant de se livrer tout en gardant une certaine distance.
Evoquant « des mains de la mer », elle survole ainsi un traumatisme pourtant qui l’a a jamais marquée sur une plage du Bangladesch. Elle nous parle également de cette période anorexique qui a suivi, transformant son corps en celui d’un moineau. Mais elle nous parle surtout de cette véritable délivrance, de cette plume, de cette écriture qui lui a d’abord permis de ne pas sombrer avant de lui permettre son véritable envol, celui d’une écrivaine capable de parler aux morts, voire même de redonner vie à son père dans « Premier sang ».
– Le genre : Introspectif
3) Etude littéraire
« Psychopompe », livre de 156 pages, publié en 2023 chez Albin Michel, est une autobiographie, une conversation (à sens unique) faite des confidences d’Amélie Nothomb qui déroule le fil de son histoire (déjà largement évoquée lors de ses précédents ouvrages), au travers du prisme aviaire. Son fil rouge, ce sera les oiseaux qu’elle apprend à connaître et pour lesquels elle se prend de passion, associant le plaisir d’écrire au plaisir de voler.
Après « Soif » et »Premier sang » consacrés l’un au Fils (le Christ), l’autre au Père (le sien), Amélie Nothomb clôt la trilogie christique avec le Saint-Esprit, figuré par un oiseau psychopompe passeur d’âme entre la vie et la mort.
Question pour elle de « vie ou de mort », l’écriture est un vol libre qui « comporte l’énorme péril de la chute » mais « privilège absolu », « grâce» la plus élevée, elle doit par son style , éviter « tout excédent de bagages », ne s’embarrasser que d’un minimum de matière pour « empêcher ses phrases de sombrer ».
Amélie Nothomb, que l’écriture a fait revenir des morts, « la morte c’était la moi d’avant », raconte comment son livre « Premier sang » lui a aussi permis de nouer un dialogue post mortem avec son père.
– Le registre dominant :Plusieurs aspects :
– Amélie Nothomb et sa révélation aviaire ( avec l’engoulevent oreillard notamment « celui qui avale le vent « , qui à l’aval du vent « , « qui se jette dans le vent comme dans la volupté » …..amant génial du courant d’air » …. celui grâce auquel elle acquiert la « vision latérale » …).
– Le drame au bord de la mer : lorsqu’elle a douze ans sur une plage au Bangladesch, « Les mains de la mer » qui s’emparent d’elle. Mal anonyme, masculin et collectif dont on n’apercevra que quatre dos « jeunes et alertes « fuyant sur la plage.
– La torture retarde le cri : « il me fallut un siècle pour trouver la force de hurler »
– La réaction de la mère qui se précipite pour la sauver « pauvre petite » , « il n’y eut pas un mot de plus dans la bouche des trois témoins ».
– L’écriture : « le privilège absolu c’est d’écrire ». Il n’y a pas de grâce plus élevée. La publication est parfois un plus souvent une détérioration du plaisir initial. L’obtenir au prix d’un effort considérable, d’une angoisse maladive, d’une douloureuse obsession, n’y change rien ». Mais pour Amélie Nothomb, il faut concevoir l’écriture comme écoute, conversation, spiritisme. C’est ainsi qu’elle aborde la notion du passage, de la mort, des retrouvailles posthumes entre elle même et son père décédé. Et avec cela qu’il est possible de régler ses problèmes avec un proche
même après le décès de celui-ci.
– Le style :
Avec ce livre autobiographique qui, à la fois grave et léger, tout en élégance et en épure, Amélie Nothomb a recours à la métaphore pour un récit à la fois intimiste, philosophique et explorant des thèmes profonds. Cet ouvrage est certes court mais ne manque pas de piquant ni d’un certain humour caractéristique de l’autrice (description de la cérémonie du café qu’elle préparait à son père et qui lui valait la gratitude de ce dernier).
– Extraits choisis :
« Un vol de grues blanches…sa peau étincelait de blancheur…l’habit arborait le blanc rare…pureté et virginité de cette jeune fille, grande beauté mais aussi mystère, longs cheveux, bouche noble et rouge….
« Quelque chose s’éteignit en moi. On ne me vit plus dans aucune eau . La violence des mains de la mer avait arraché la coquille, je n’étais plus l’ oeuf que j’avais été. Oisillon dépourvu de plumes. Il me faudrait accéder au statut d’oiseau ; cela serait monstrueusement difficile ».
« Regardez les oiseaux du ciel, ils ne font ni semailles ni moissons, ils n’amassent pas dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Vous mêmes, ne valez pas beaucoup plus qu’eux ? »
4) Opinion personnelle sur le livre
Pour :
Au terme de la lecture de cet ouvrage, je ne savais pas vraiment si je l’avais aimé ou pas. Je n’ai pas été emballée, c’est certain, mais j’ai eu une certaine attirance néanmoins pour le livre. La plume de l’autrice n’y est pas étrangère ainsi que son originalité de même que la profondeur des messages qu’elle nous transmet.
J’ai été touchée par la relation qu’elle entretient avec sa sœur et surtout son père, par rapport auquel elle devient un psychopompe, (entité accompagnant l’âme des morts vers leur dernière demeure). C’est aussi une ouverture vers d’autres récits, le cheminement d’un auteur dans son parcours d’écriture, une écriture en quête de sens et de soi.
Ce roman intime permet de mieux comprendre Amélie Nothomb mais il reste cependant très métaphorique pour l’approcher vraiment . Personnage singulier et écrivaine prolifique, son univers étrange, son style fluide et percutant sont la signature des romans d’Amélie Nothomb qui font partie des plus grands succès littéraires francophones contemporains.
Nothomb détonne, dans ses romans, l’on trouve toujours, à proportions égales, une bonne idée, du savoir-faire, de la méchanceté, une dose d’humour, des références littéraires, des phrases courtes. Force est de constater qu’il existe bien une méthode Nothomb, particulièrement dans ses auto-fictions, elle soumet ses souvenirs à l’épreuve de son écriture et propose une relecture acerbe , drôle et cynique de différentes périodes de sa vie. Avec ses romans ersonnels, elle construit par petites unités de temps sa fresque autobiographique.
Une œuvre d’une originalité rare dans le paysage littéraire français.
Amélie Nothomb expose sa personne dans une multitude d’autoportraits dispersés dans le temps et dans l’espace (petite enfance, enfance, âge adulte, premier amour, Chine, Japon…). Nothomb n’est jamais aussi brillante que lorsqu’elle examine son passé et celui de ses proches. Sur ses sept romans primés en trente ans, quatre ont pour source sa propre vie. Sans doute est-ce là sa véritable singularité littéraire.
Laurence Vignessoule