Lors de la rencontre autour des livres du 14 mai 2018, Annie Olier-Le Junter a présenté le roman “Le bleu du lac”, de Jean Mattern ( Mai 2018, Editeur Sabine WESPIESER)
Jean Mattern est né en 1965 dans une famille originaire d’Europe centrale. Il suit des études de littérature comparée en France à la Sorbonne, avant de travailler, de 1990 à 1998, pour les éditions Actes Sud en tant que responsable des droits étrangers. Aujourd’hui, il est chargé des acquisitions en littérature étrangère chez Gallimard.
Dans chacun de ses romans, la question de la transmission occupe une place prépondérante : après Les Bains de Kiraly (Sabine Wespieser éditeur, 2008) – qui a été traduit en sept langues –, il publie, toujours chez Sabine Wespieser éditeur, De lait et de miel en 2010, puis Simon Weber en 2012 . Septembre est publié en 2015 chez Gallimard, ainsi qu’un essai en 2016 : De la perte et d’autres bonheurs.
Ce petit roman d’une centaine de pages nous fait vivre, en temps réel, le trajet en métro d’une femme qui se rend à la messe de funérailles de son amant.
Cela se passe à Londres ; cette femme, c’est Viviane Graig, une pianiste célèbre, spécialiste de Brahms et de Rachmaninov, qui a mis depuis quelques années un terme à sa carrière de concertiste ; l’amant, c’est James Fletcher, un critique musical, professeur de musicologie, et surtout charismatique présentateur d’une émission de télévision.
Par l’exécuteur testamentaire, elle apprend que dans ses dernières volontés, James a demandé qu’elle joue pendant l’office funèbre l’Intermezzo N° 2 de Brahms, et sous le choc, sans réfléchir, elle a accepté.
Le récit se déroule donc entre ces deux phrases : la première « Je devrai jouer tout à l’heure, je n’ai pas le choix » ; et la dernière : « Je dois jouer pour James maintenant »
Le récit respecte donc :
. l’unité de lieu : le trajet de Wimbledon jusqu’au centre de Londres en métro
. l’unité de temps : les deux heures que dure le trajet
. l’unité d’action : le lecteur est plongé dans le monologue intérieur de cette femme, ses angoisses, ses émotions, ses souvenirs …
C’est un roman écrit à la première personne, sans aucune rupture, comme un plan séquence au cinéma.
Les thèmes évoqués , bien sûr d’abord le deuil et le sentiment de la perte, mais aussi, ses angoisses avant cette prestation musicale qu’elle n’est pas sûre de pouvoir exécuter ; les souvenirs (leur première rencontre, leurs rendez-vous secrets) et surtout le souvenir de leurs étreintes : bien qu’elle soit une épouse comblée, et qu’elle n’ait jamais eu l’intention de quitter son mari, elle a découvert avec son amant, l’amour total et la complétude de son être.
Ce sentiment de plénitude s’exprime dans une relation très sensuelle. Toutes ses réflexions la ramènent à ces moments d’intimité, et elle évoque souvent sans fausse pudeur le sexe « dressé à la verticale » de son amant.
Moments enrichis aussi par la communion dans la musique, avec de très beaux passages sur ce fameux Intermezzo de Brahms.
Et le titre ? ce Bleu du lac ? Il fait référence au Lac d’Annecy où James se rendait en pèlerinage une fois par an et où il aimait se fondre dans la plénitude du ciel , la pureté de l’eau et la beauté du paysage.
A qui ce livre peut-il être proposé dans nos bibliothèques ?
La langue est assez simple, mais les phrases suivent les méandres de la pensée de la narratrice ; ce sont des phrases souvent longues, ponctuées de virgules mais peu de points et encore moins de paragraphes. Les sujets s’enchaînent facilement par association d’idées (la chaleur dans le métro lui fait regretter la robe trop chaude pour la saison, la robe la ramène au concert, le concert à la mort, la mort à l’amant vivant … etc.)
Il ne s’adressera donc pas aux lecteurs qui veulent qu’on leur raconte une histoire, car il n’y a pas un récit suivi, une « histoire », mais plutôt un faisceau de sensations, d’émotions, qui nous fait partager un moment très particulier de la vie d’une femme.
Annie Olié Le Junter
NB : Pendant la Comédie du Livre, Jean Mattern sera présent sur le stand de la Librairie Le Grain des Mots