Roman “La sentence”, de Karen Louise Erdrich, présenté par Chantal Bel lors de la rencontre autour des livres du 11/12/2023
(Ed. Albin Michel – Sept 2023 – 448pages – Trad : Sarah Gurcel)
L’auteur : Karen Louise Erdrich est née dans le Minnesota en 1954. Elle débute par des livres jeunesse et des recueils de poésie comme « Jacklight », sa première publication en 1984. Suivront une vingtaine de romans dont plusieurs ont été primés soit aux Etats Unis soit en France. « La Sentence » a reçu cette année le Prix FEMINA roman étranger. Louise Erdrich est considérée comme l’une des figures majeures de la littérature contemporaine américaine. Elle vit à Minneapolis où elle est propriétaire d’une petite librairie indépendante : Birchbark Books qu’elle va choisir comme décor pour ce roman.
L’histoire : Tookie, jeune junkie, est emprisonnée pour vol de cadavre et transport de drogue. La sentence est lourde : 60 ans, mais, pour elle, rien d’étonnant au regard de ses origines amérindiennes. C’est en prison qu’elle va découvrir la lecture qui deviendra une passion. Dans un vieux dictionnaire, elle ne retiendra que cette phrase illustrant le mot sentence : « La porte est ouverte » « Fonce ! ». Tookie reconstruit donc sa vie dès sa libération anticipée 10 ans plus tard : elle habite Minneapolis avec son mari Pollux un ex-policier et travaille dans une librairie spécialisée en littérature amérindienne. De novembre 2019 à novembre 2020, elle nous raconte sa vie quotidienne, en famille, avec ses collègues, les clients de la librairie, ses amis sur fond d’actualité : la crise Covid et l’assassinat de Georges Floyd. Tookie évolue avec sensibilité et humour dans son questionnement sur ses origines, son rapport aux autres. Mais sa quête va prendre un tour inattendu quand le fantôme de Flora, une ancienne cliente vient à la harceler.
L’analyse : Le propos de ce roman est profondément ancré dans la culture amérindienne. Louise Erdrich, descendante par sa mère des indiens Objibwe, est l’une des figures contemporaines du mouvement littéraire de la « Renaissance amérindienne ». Si, dans ce roman, elle ne fait pas l’impasse sur les thèmes du racisme, des violences policières, de la suprématie blanche, elle cherche surtout à nous immerger dans sa culture en décrivant la vie d’américains modernes qui ont réussi à concilier leurs traditions avec un mode de vie à l’occidentale. C’est aussi dans ses racines, qu’elle puise le thème des esprits. Ce roman est aussi une ode à la lecture et au monde de la librairie, une invitation à découvrir la littérature américaine par une proposition de plus de 150 titres.
C’est un texte vif, rythmé. Les fantômes et la magie créent cette part d’étrange et de fantastique qui fait l’originalité de ce roman. L’humour est toujours présent mais ce texte est également profond et dramatique quand il aborde la question de la perte des siens, de la marque indélébile laissée chez ces descendants des peuples indiens par les massacres, les spoliations, les humiliations qui jalonnent leur histoire. Le passage sur l’assassinat de Georges Floyd est particulièrement émouvant : l’histoire se répète et, au-delà de la violence que cet évènement va déclencher, c’est la force et la dignité de ces peuples opprimés qui appellent le respect.
Mon avis : Dans ce roman, j’ai découvert les talents de conteuse de Louise Erdrich qui a su m’émouvoir et souvent, me faire sourire. Cette lecture m’a donné l’envie de découvrir la littérature amérindienne et m’a confortée dans la conviction, partagée avec l’auteur, que les livres contribuent à notre évolution personnelle. Pour ceux qui voient d’un œil suspicieux la présence de fantômes dans ce roman : je vous invite à vous laisser emporter par cette part de fantastique qui fait du bien et qui porte ici un sens plus profond qu’il n’y parait : et si, comme le pense Tookie, tout était hanté ?
Chantal Bel – Bibliothèque Le Castelet, Saint Jean de Vedas – Rencontre autour des livres , 11 décembre 2023