“Les vestiges du jour” , roman de Kazuo Ishiguro, publié en 1989, présenté par Jean-Pol Isambert le 4/12/2017
C’est son 3ème roman, écrit en 1989, et qui l’a rendu célèbre dans le monde entier. Il raconte l’histoire d’un majordome, Stevens, au service d’un influent gentleman Lord Darlington, dont le domaine est ensuite acquis par un riche américain, Mr. Farraday, aux manières beaucoup plus rustres. Ce dernier, qui doit retourner 5 semaines en Amérique, pousse cet homme de devoir, entièrement voué à ses maîtres et au service qu’il doit assumer, à prendre quelques jours de congé pour visiter ce pays, la Grande-Bretagne, qu’il ne connaît pratiquement pas. Stevens finit par accepter, en raison d’une lettre reçue récemment de l’ancienne intendante du domaine, Miss Kenton. Son objectif sera d’aller rencontrer cette personne dont la lettre lui semble un appel au secours. Le livre nous narre le récit de ces 6 jours de voyage, tout en le parsemant de réflexions – parfois un peu rébarbatives – sur le métier de majordome et sa dignité (qu’est-ce qu’un grand majordome ? qu’entend-on par maison distinguée ?) et en l’entrecoupant de récits de rencontres historico-politiques, suscitées par Lord Darlington en sa demeure, entre des grands de ce monde, dans le contexte de l’entre-deux-guerres. S’y mêlent des situations très concrètes, voire comico-triviales, comme les pieds souffreteux du représentant français qui réclame des soins d’urgence, alors que le majordome, tout affairé au service de ces hôtes illustres, vit stoïquement le malaise, puis la mort de son père, que gère Miss Kenton, qui se révèle alors dans la profondeur de ses sentiments, après des périodes souvent conflictuelles entre elle et le majordome. Le livre nous fait pénétrer aussi dans l’Angleterre profonde des campagnes et découvrir l’approche différente, mais pas nécessairement stupide, du petit peuple des villages qui considère qu’il est lui aussi capable de réfléchir, notamment à ce qu’est la démocratie.
Bref, ce roman déploie de multiples facettes qui en font la richesse, avec pour toile de fond la noblesse du métier de majordome et les deux personnalités dominantes de Stevens et de Miss Kenton, dont au fil du livre le lecteur cherche à découvrir les liens (ils n’en auront la clef que dans les dernières pages).
INTERET DE CE ROMAN : Kazuo Ishiguro, dans ce livre, exprime à travers son personnage principal, une grande admiration pour son pays d’adoption (il loue la gentillesse de tous ceux qui l’accueillent ou le dépannent durant son périple et s’émerveille avec humour des paysages de peu de relief qui, justement, font la grandeur de la campagne britannique). Il nous donne aussi une leçon de vie, avec une sagesse digne de Montaigne : ne pas regarder en arrière et « faire le meilleur usage de ce qu’il me reste de jour ». C’est un roman de l’introspection, du souvenir – « les vestiges du jour » – où alternent le théâtre des grands de ce monde, le bon sens des petites gens, avec en permanence une pénétration de l’âme humaine dans ses grandeurs et ses petitesses.
Tous les livres de Kazuo Ishiguro tournent autour de la mémoire. « Je suis un drogué de la mémoire », reconnaît-il.
Un livre intéressant, subtil, sans doute d’accès moins facile que les deux précédents, mais qui offre plus d’épaisseur par sa dimension géopolitique.
Peu prolixe – un livre tous les 5 à 10 ans – Kazuo Ishiguro n’en reste pas moins un écrivain intéressant et original à découvrir. Tous ses livres sont en poche (Folio) et donc peu onéreux.